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Photo du rédacteurAlex Bellemare

Horizon Zero Dawn : usages du monde & de l’Histoire

Dernière mise à jour : 2 nov. 2018

Dans Horizon Zero Dawn, le joueur personnifie Aloy, une jeune chasseuse d’animaux-machines, dont le mandat est de découvrir comment le monde civilisé et technologiquement avancé que nous connaissons aujourd’hui s’est fané jusqu’à une civilisation qui a tous les aspects de celle de l’âge de pierre.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

Horizon Zero Dawn est un jeu vidéo s’inscrivant dans la plus pure tradition des ARPG (action role-playing game), qui présente un monde post-apocalyptique qui, a contrario des attentes conventionnellement générées par la dystopie, est verdoyant et fécond, riche en végétation et en paysages foisonnants. L’événement apocalyptique est, au début du jeu, laissé à l’état de spéculation : nous savons seulement que le monde connu s’est abîmé, que les survivants vivent de façon clanique, qu’ils manipulent des armes et des instruments de base (des lances, des arcs, des frondes), et qu’ils vénèrent une divinité nommée « All-Mother ».


Cette divinité, du moins pour la tribu des Nora, s’ancre dans la géographie : les membres du clan célèbrent et chérissent cette figure divine, qui prend l’aspect d’une montagne sacrée. On y dirige prières et demandes : All-Mother est le lieu d’origine, le degré zéro de l’existence, l’endroit qui a vu la vie éclore pour la première fois. Il y a partout, dans Horizon Zero Dawn, des traces de cette association entre géographie et spiritualité : le monde dans lequel on vit n’est pas qu’un contenant vide et insignifiant, mais un « être » avec lequel il convient d’être en harmonie et en constant dialogue.


À la façon des romans d’apprentissage, Horizon Zero Dawn commence par une naissance compliquée, dont les tenants et aboutissants apparaissent d’emblée orageux. Une jeune enfant, née dans une communauté aux conventions strictes et aux croyances passablement conservatrices, est confiée à un marginal, à un exclu qui doit en prendre soin jusqu’au jour du « Proving », sorte d’olympiades testant le courage des jeunes adultes les plus méritoires.


La trame narrative centrale, qui s’étale sur quelques dizaines d’heures, n’a rien de proprement original, dans la mesure où elle s’inspire, parfois lourdement, des stéréotypes du genre. Il faut donc mener la quête de l’héroïne à son terme : trouver le sens de notre naissance fantomatique. À cette histoire principale se greffe une série de quêtes connexes, que l’on pourrait compléter ou non sans que cela modifie (trop) l’intrigue de base.


Toutefois, cette intrigue est double, et se construit par effet de miroir : la quête d’Aloy consiste certes à découvrir ses origines, mais cet enjeu filial semble inextricablement lié au destin, sombre et funeste, de la Terre, alors en proie à une invasion d’animaux-machines qui, le plus souvent, sont hostiles et monstrueusement destructeurs. Parasites, ils le sont à la fois pour les humains (qu’ils pourchassent) et pour la nature (qu’ils exploitent pour se nourrir).


C’est par dévoilements successifs, par touches additionnées que la trame narrative est bâtie. Un peu à la manière des mécanismes employés dans les romans policiers, les renseignements sur notre propre identité sont vaporisés ici et là dans l’univers d’Horizon Zéro Dawn. Malgré d’inévitables moments d’exposition, l’intrigue n’est pas platement plaquée sur la jouabilité — comme cela est souvent le cas pour les ARPG, faisant du cadre narratif un passable obligé mais finalement négligeable —, elle est au contraire vécue, expérimentée par le joueur (qui comprend les secrets du nouvel ordre du monde en même temps qu’Aloy).


Matriarcat & féminisme. Mécanismes de l’exclusion


Disons d’abord quelques mots sur l’organisation tribale au sein de laquelle naît Aloy, mais de laquelle elle est vite exclue en raison de son absence de filiation. Aloy est apparue un jour, de façon apparemment inexplicable, pleurant et gigotant à l’intérieur de la montagne sacrée des Nora, tribu dont le mode d’organisation est matriarcal. Le fait qu’Aloy soit orpheline, sans lien direct avec la tribu sinon son lieu de naissance, accentue son altérité, et ce faisant son bannissement de la société. C’est la différence (de nature) qui fait ici dissension : le clan n’accepte que ses exacts semblables. C’est en des termes voisins que s’exprime l’un des concepteurs du jeu, John Gonzalez, en mettant l’accent sur le travail de la filiation dans la construction de la protagoniste :


« As we were exploring this world, as we were imagining the societies that would come into existence, one of the social orders that we wanted to explore was the matriarchy of this tribe. This ended up being an inspiration for Aloy's character. Because if you have a tribe for whom parenting and in particular motherhood — bringing forth life and nurturing it — is the holiest act, the most sacred act that someone can perform, then it would be uniquely painful to not know who your mother was or where you came from. »

Or il existe une ultime façon, dans la société des Nora, d’accéder au statut de membre à part entière : prouver sa valeur lors d’un concours d’habiletés (prioritairement physiques). Aloy (que le joueur contrôle) réussit — évidemment — toutes les prouesses exigées d’un guerrier intrépide, et triomphe au « Proving ». Cela, en s’attirant au passage les moqueries des uns et des autres, puisque Aloy est, dans cette compétition acharnée, doublement minoritaire : elle est une exclue et une femme.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

Cette question de la féminité du personnage principal a engendré des discours pluriels : certains étant d’avis qu’il s’agissait d’un jeu vidéo proprement féministe, d’autres étant nettement plus critiques, spécifiant que la féminité d’Aloy est plus superficielle qu’appuyée. Sans insister outre mesure sur ces discours extérieurs, il convient de noter que les femmes, dans Horizon Zero Dawn, outre la vaillante protagoniste, n’ont pas toujours le beau rôle : elles sont des personnages secondaires et, quand elles occupent des fonctions plus importantes, elles sont souvent défaillantes. Bref, sans parler forcément de « féminisme de façade », il importe de constater que, même dans un futur lointain, les lois implacables de la dualité triomphent toujours : les valeurs déterminent si vous faites partie du groupe ou non ; la culture vous prête des habitudes genrées plus ou moins sclérosantes ; la politique établit des rivalités anciennes que nul ne comprend plus.


L’industrie du jeu vidéo, disons-le avec la majorité des critiques, est particulièrement misogyne, et les héroïnes sont le plus souvent des calques de fantasmes ou de fétiches de la femme fatale. Les héroïnes de jeux vidéo s’inscrivent généralement dans le concept des « filles en série », que développe Martine Delvaux :


« Les filles en série ne sont pas la mise en forme des filles telles qu’elles sont ; c’est une mise en forme des filles comme on souhaite qu’elles soient. »

Pour ce qui est d’Aloy, sa figuration se situe au croisement des filles en série et de la performance (décalée) des genres : les caractéristiques qu’on prête à l’héroïne sont celles qui sont le plus souvent associées à la masculinité dans les jeux vidéo — force, intelligence, bravoure. D’aucuns ont noté qu’Aloy n’était féminine qu’en surface. Si certains consommateurs ont argué qu’ils ne joueraient jamais à Horizon Zero Dawn en raison du genre de la protagoniste, d’autres l’ont peut-être trop mis de l’avant : Aloy reproduit et entretient beaucoup de stéréotypes de genre.


Plus généralement encore — et ce sera notre propos —, Aloy semble la seule dont le courage et l’intelligence conviennent au sérieux de la situation désastreuse dans laquelle l’humanité est plongée. Les machines menacent toutes les populations de l’extinction. Pourtant, les personnages rencontrés au fil de l’intrigue sont la plupart du temps des incapables, des couards ou des vilains impuissants, ce qui surdétermine l’héroïsme (déjà héroïque) de la protagoniste. Cette différence superlative de l’héroïne n’est pas due à une faiblesse du scénario, mais renvoie directement à la naissance même d’Aloy : elle est une femme technologiquement engendrée ; elle n’a de mère qu’une série de codes imprimés dans son ADN fabriqué de toutes pièces.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

Une fois le « Proving » remporté, Aloy gagne le pouvoir de traverser les frontières d’un monde que la tribu maintient volontairement clos. La hiérarchie est sévère : seuls les chasseurs-cueilleurs de la tribu ont le droit de rôder près des camps sédentaires. Toute déambulation est sacrilège : seuls certains élus peuvent librement circuler hors de l’enceinte réconfortante des villages avoisinants. Désormais, Aloy fait partie de ceux-là : son affranchissement passe nécessairement par sa mobilité. Cette expérience nouvellement acquise du déplacement, toutefois, sera maintes fois contrainte par la rencontre d’animaux-machines extraordinairement féroces.


Animaux-machines & surveillance technologique


Au fur et à mesure que se décline l’histoire d’Horizon Zero Dawn, une certitude apparaît : le règne des animaux-machines est l’œuvre de l’humain et constitue une dérive à la fois prévisible et irrésistible. Le projet « Faro Plague », issu de divers programmes militaires, est initialement conçu comme un dispositif de surveillance et de pacification de masse, alors que des robots remplacent graduellement l’humain dans ses activités de coercition. Évidemment, comme la dystopie le laisse supposer, un grain s’est éventuellement glissé dans l’engrenage. Les machines, de plus en plus autonomes, de moins en moins diplomates, ont cessé d’obéir aux ordres, à leurs codes d’origine.


À quelques notions près, le projet « Faro Plague » réalise, de façon plutôt radicale, ce que Michel Foucault nomme la « société punitive » : dans l’avant-monde, celui où robots et humains coexistent dans une apparente harmonie, les animaux-machines ont pour mandat de punir les marginaux, et de maintenir captifs les individus déviants, les criminels et autres exclus du groupe. Le rôle des machines est de perpétuer l’ordre du monde, mais en déshumanisant les peines, en mécanisant les châtiments. Bref, entre de mauvaises mains (des politiques peu scrupuleux notamment), les robots deviennent des bourreaux en puissance, des armes de surveillance massive, et de destruction totale. Nous sommes toujours visibles ; nous ne sommes jamais à l’abri des regards du pouvoir en place. C’est ce que Michel Foucault nomme, dans un contexte de disciplinarisation des corps, des « observatoires », que nous pourrions dire mécaniques et mouvants dans Horizon Zero Dawn :


« L’exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent. »

Dans un jeu de chassé-croisé, cependant, les robots, d’abord utilisés comme des panoptiques ambulants, traquent la transgression pour devenir, à force de virus et de logiciels pirates, l’incarnation même de la déviance : ils sont devenus la menace.


Ainsi, le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui s’est effacé peu à peu : les machines, capables désormais de se reproduire sans l’intervention de l’individu, exploitent la biomasse pour se maintenir « en vie », si bien qu’à un certain moment, les machines surclassent les humains en nombre, puis en puissance. Il ne reste plus qu’à attendre l’évanouissement du monde. La technologie aurait eu raison de la nature, de la Terre et de toutes les civilisations, si ce n’était du projet « Zero Dawn » de la scientifique Elisabeth Sobeck. Celle-ci crée, par le biais des biotechnologies, une intelligence artificielle nommée « Gaia » capable de reconstruire la Terre une fois détruite par les machines. Des générations plus tard, le protocole Gaia s’est mis en branle et a réinventé montagnes, rivières, faune et flore ; les humains qui peuplent la Terre des décennies après la catastrophe sont des êtres artificiellement créés, qui n’ont aucune mémoire de l’Histoire, ni des technologies d’avant.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

C’est un thème récurrent de la science-fiction en général, et de la dystopie en particulier : l’univers de la technologie est à la fois oppression et libération. En un mot : un conflit, sempiternel, entre nature et culture, entre environnement et technologie. Dans Horizon Zero Dawn, dont le scénario emprunte d’ailleurs beaucoup au métarécit biblique (une élue descendue sur terre pour éclairer et mener ses semblables), la quête d’Aloy est de garantir la survivance de la civilisation, puisque les machines, de nouveau gangrenées par des virus, menacent encore le monde de l’hécatombe. Jamais le joueur n’a le choix de laisser gagner les machines (outre le fait, bien sûr, d’arrêter de jouer) : les humains doivent survivre à leur folie, coûte que coûte, peu importe leur acharnement à répéter les mêmes erreurs — tout le jeu dépend en effet de cet impératif. La vie humaine mérite d’être sauvée à tout prix. L’union entre monde naturel et monde humain est trop importante, trop essentielle pour qu’elle disparaisse en même temps que la Terre : cette union primordiale doit se perpétuer, quand bien même elle serait simulée technologiquement.


Il y a ici quelque chose de neuf dans le conflit (conventionnel pour la science-fiction) qui oppose l’humanité à son effacement anticipé : la Terre est devenue un être technologique, une intelligence artificielle ; bref, un subterfuge, un simulacre qu’Aloy tente de sauver d’une mort annoncée. Significativement, la préservation du monde est confiée à deux « entités » façonnées par autrui, et qui n’ont de réalité que dans leurs apparences : Gaia et Aloy sont des programmes biotechnologiques, conçus pour protéger l’humain de ses tares, pour prolonger une union toxique au-delà de sa date de péremption.


Paul Valéry, déjà au XXe siècle, signalait, en cristallisant une certaine anxiété de la fin, que « nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » ; avec Horizon Zero Dawn, la formule se métamorphose — les civilisations, grâce à la technologie, deviennent immortelles, au gré de toutes les pires catastrophes.


Entre nature & technologie : usages du monde


Aloy — cliché hollywoodien oblige — gagnera finalement son combat contre les machines ; et la Terre continuera artificiellement de s’épanouir jusqu’à une nouvelle dévastation créée par l’hubris des hommes. Hormis les animaux-machines, l’exemple sans doute le plus visible des dérives de la technologie, d’autres objets, dans Horizon Zero Dawn, permettent de penser l’humain et ses figures dans un monde post-apocalyptique. Au tout début du jeu, la protagoniste découvre un petit talisman, nommé « Focus », qui, lorsqu’elle le porte, lui permet de voir le monde dans une tout autre dimension.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

Il y a, grâce au « Focus », superposition de mondes. Pour parler le langage courant, il s’agirait d’un objet générant une réalité augmentée : quand le « Focus » est actif, seul l’utilisateur peut voir le monde dans sa plus-value, avec des informations ajoutées. Le « Focus » décrit les faiblesses des machines environnantes, permet de retracer les pas d’individus disparus. C’est aussi par l’intermédiaire du « Focus » qu’Aloy communique avec le monde d’avant : elle peut ainsi lire des journaux ou des messages laissés par des humains pendant la catastrophe.


L’usage du « Focus » par Aloy l’exclut encore davantage de la norme ; elle est née sans parents, elle est un être biotechnologique, elle est une femme, elle utilise, en plus, des technologies que nul ne comprend, et que tous redoutent. La technologie, à cause des animaux-machines, est perçue négativement. Pourtant, Aloy est l’une des rares à percevoir l’aspect « humaniste » de la technologie, au sens de Peter Sloterdijk :


« On trouve dans le credo de l’humanisme la conviction que les hommes sont des “animaux sous influence”, et qu’il est par conséquent indispensable de les soumettre aux influences adéquates. L’étiquette “humanisme” évoque — sous un aspect faussement anodin — la bataille permanente pour l’être humain qui s’accomplit sous la forme d’une lutte entre les tendances qui bestialisent et celles qui apprivoisent. »

Ainsi, la technologie est une adaptation, ni plus ni moins nocive qu’une autre, dans la mesure où l’être humain n’a jamais d’autre choix, pour que la civilisation se maintienne en ordre, de préférer toutes les influences lui permettant d’échapper à sa « bestialité » fondamentale. C’est à cet impératif que souscrit apparemment Aloy : toutes les façons de s’améliorer, de se bonifier sont bonnes en soi, tant qu’il s’agisse, manichéisme oblige, de faire le bien. Aloy, qui est une biotechnologie, cherche constamment à se différencier des animaux, et de ses semblables : elle est l’incarnation paradigmatique de ce que devrait être un être humain, plus que ce qu’il est en réalité. C’est là l’œuvre de la technologie : donner de l’individu une image hyperbolique, inatteignable, en somme, sans l’heureux recours à différents mécanismes d’apprivoisement.


***


L’inquiétude selon laquelle le monde est en voie de disparition, prégnante dans les études environnementales, renvoie essentiellement à deux postulats. Le premier est écologique : le monde, qu’on exploite jusqu’à plus soif, est en déliquescence. Le second est lié aux finalités de l’Histoire : cette déréliction est irréversible. C’est effectivement ce que résume Catherine Larrère, en mentionnant que la crise environnementale (contemporaine) tire son origine d’une conscience que la nature n’est pas infinie :


« La crise environnementale, c’est d’abord la manifestation de choses qui, jusque-là, semblaient aller de soi […] : l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons […], tout cela semblait devoir être toujours là, ressources inépuisables sur lesquelles nous avions peu de pouvoir. La découverte que nous avions ce pouvoir fut, en même temps, celle de leur fragilité, et de la nécessité de s’en préoccuper. »

Dans Horizon Zero Dawn, cette perception que la Terre est en péril, que l’humanité est mise en danger existe, mais le monde dans lequel cette menace s’installe est moins catastrophiste que ce que laisse a priori supposer l’imaginaire de la dystopie et les mythologies de la fin. Après tout, outre Aloy qui sait de plus en plus comment le monde a originalement périclité, les autres individus du jeu sont parfaitement ignorants du « monde d’avant ». La présence des animaux-machines n’est pas inusitée ; on sait qu’ils existent depuis toujours, et qu’ils sont dangereux. Il reste que la géographie du jeu est à des années-lumières de la dystopie et de ses mondes dévastés, brisés et en pagaille.


Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.

Pour John Gonzalez, en effet, la géographie est définitoire, elle détermine l’ensemble des façons d’être et des manières de penser d’une communauté. Dans le cas d’Aloy, ce déterminisme géographique joue à plein dans son appréhension de la nature. Chasseuse par devoir, la protagoniste d’Horizon Zero Dawn est définie par le groupe auquel elle appartient (grâce à ses capacités physiques extra-humaines) :


« It has this idea that one's geography is destiny, in a way. The material conditions in which a group of people are living really determine the technologies that they're going to develop. We tried to use some of that in imagining these groups. »

Dans le cas d’Aloy, cette primauté de la chasse dans sa façon d’agir fixe chez elle un certain nombre de comportements : elle voit la nature comme un immense champ de bataille, comme une terre infiniment tiraillée par des querelles millénaires. Les animaux-machines, dont la forme renvoie autant à des espèces disparues (des dinosaures) que familières (des taureaux), sont d’emblée des ennemis, qu’elle peut ou bien tuer, ou bien reprogrammer pour s’en servir comme montures, afin de se déplacer plus rapidement d’un territoire à l’autre.


Il y a peu de différence, d’ailleurs, entre animaux-machines et animaux « ordinaires » (des sangliers, des dindes, des ratons) dans Horizon Zero Dawn : tuer permet d’acquérir différents matériaux (métal, os, bois), qu’Aloy utilise ensuite pour construire des armes, des munitions, pour brasser diverses potions d’énergie. La nature produit, Aloy dispense ; elle se sert de son environnement, elle le manipule et le transforme pour arriver à ses fins guerrières. Tout l’environnement est conçu selon cette logique martiale : ce qui importe en définitive, c’est de s’armer le plus efficacement possible, pour tuer toujours davantage, et mieux.


Déterminée par son milieu, Aloy reproduit, à l’échelle du monde, ce que sa communauté prescrit depuis ses origines : pour survivre, il faut s’acharner au combat, tuer, tuer de nouveau, tuer toujours. Il y a alors cyclicité autant du point de vue de l’Histoire (les biotechnologies permettent l’extinction puis la repopulation du monde) que de la Nature (on transforme les matières premières de l’environnement pour s’outiller, pour s’armer). Ce caractère cyclique renvoie par ailleurs à une logique réitérée de l'affrontement : survivre n’est jamais autre chose qu’une bataille, contre soi, contre la nature, contre les autres.


***


Dans Horizon Zero Dawn, l’idée, plusieurs fois reprise et véhiculée dans le discours ambiant, que nous serions dans une crise environnementale est plaquée sur un autre danger, celui de l’essor irrésistible des biotechnologies. Le genre de la dystopie, dans les jeux vidéo, permet souvent, entre autres choses, de penser l’avenir, de faire l’expérience fictionnelle du destin qui nous attend peut-être. L’un des nombreux attraits de ce jeu est de faire vivre au joueur à la fois la fin d’un monde et le début d’un autre, dans une perspective cyclique qui force l’interrogation : l’union entre humain et environnement est-elle si précieuse qu’on devrait la perpétuer au-delà de ce qui est « naturel » ? C’est là l’une des questions (à cheval entre la philosophie et l’écocritique) qu’Horizon Zero Dawn pose au joueur : la Terre est-elle bien une Terre si elle est façonnée par une intelligence artificielle ? La réponse (parcellaire) que le jeu apporte se trouve d’abord et surtout dans la jouabilité : la vie, selon un truisme bien connu, est toujours un combat.


SOURCES : Horizon Zero Dawn, Guerrilla Games, 2017.


Jessica Conditt, « Motherhood, Nature and Technology in ‘‘Horizon Zero Dawn’’ », article électronique, Engadget, 2017. URL : <https://www.engadget.com/2017/01/30/horizon-zero-dawn-gonzalez-interview-motherhood-nature-tech/>.


Martine Delvaux, Les filles en série. Des Barbies aux Pussy Riot, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2013, p. 19.


Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2011 [1975], p. 201.


Catherine Larrère, Les philosophies de l’environnement, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Philosophies », 1997, p. 12.


Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000, p. 17.


Paul Valéry, « La crise de l’esprit », dans Variété I, Paris, Gallimard, 1924, p. 11.

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